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— Bonjour, Mrs. Betterton !
Il ne s’était pas levé pour la saluer et elle eut l’impression que le timbre de sa voix était changé.
Stupéfaite, elle resta quelques secondes incapable de faire un mouvement. Puis, elle se ressaisit. « Nous y sommes ! se dit-elle. Ce que tu attendais est arrivé. Tu n’as plus qu’à te comporter comme elle se comporterait. »
Avançant d’un pas, elle dit, d’une voix anxieuse :
— Vous avez des nouvelles à me donner ?
Il hocha la tête :
— Il me semble, madame, répondit-il d’un ton de reproche, que, dans ce train, vous n’avez pas montré une intelligence très éveillée. Sans doute avez-vous trop l’habitude de parler du temps !
Elle ne comprenait pas. Qu’avait-elle donc dit du temps, dans le train ? Il avait été question du froid, du brouillard, de la neige…
De la neige ! Elle pensa à Olive Betterton, à ces deux vers qu’elle avait murmurés, juste avant de rendre l’âme :
Neige, neige, neige admirable !
Tu tombes en flocons et puis tu disparais…
Ces deux vers, elle les répéta d’une voix tremblante.
— Voilà ! s’écria Laurier. Pourquoi ne les avez-vous pas dits dans le train ? Vous aviez pourtant des instructions !
— Il faut comprendre que j’ai été malade, répliqua-t-elle. J’étais dans cet avion qui s’est écrasé au sol, à Casablanca, et j’ai souffert d’une dépression nerveuse, qui m’a valu d’être admise à l’hôpital. Depuis, j’ai des troubles de mémoire. Je me rappelle fort bien les choses anciennes, mais j’ai des « trous » terribles…
Portant ses deux mains à son front, elle poursuivit, et son émotion paraissait sincère :
— Vous ne pouvez pas vous rendre compte ! C’est effrayant ! J’ai le sentiment que j’ai oublié des choses importantes, extrêmement importantes. Et plus j’essaie de me souvenir, plus je constate qu’elles ne me reviendront jamais à la mémoire ! C’est épouvantable !
— Je vous accorde, dit-il d’une voix très calme, que cet accident est très regrettable. Toute la question est de savoir si vous avez ou non assez de volonté et de courage pour continuer votre voyage.
— Mais j’entends bien le continuer ! s’écria-t-elle. Mon mari…
Sa voix se brisa. Il sourit, d’un sourire plus inquiétant que sympathique.
— Votre mari, autant que je sache, vous attend avec impatience.
— Vous ne pouvez pas imaginer ce qu’a été ma vie depuis son départ !
— À votre avis, les autorités britanniques sont-elles arrivées à une conclusion définitive, quant à ce que vous savez ou ne savez pas ?
Elle écarta les bras d’un geste d’ignorance.
— Que vous dire ? Elles ont eu l’air d’être satisfaites.
— Cependant…
Il laissa la phrase en suspens.
— Je crois qu’il est très possible, reprit Hilary, que j’ai été suivie jusqu’ici. Je n’ai repéré personne, mais j’ai eu à différentes reprises, depuis que j’ai quitté l’Angleterre, l’impression très nette que j’étais surveillée.
— Évidemment. Nous nous y attendions.
— J’ai pensé que je devais vous le dire.
— Ma chère Mrs. Betterton, nous ne sommes pas des enfants. Nous savons ce que nous faisons.
— Excusez-moi ! dit-elle, humblement. Je suis très ignorante.
— Aucune importance. L’essentiel est que vous soyez obéissante.
— Je le serai.
— Vous avez été surveillée, en Angleterre, j’en suis persuadé, depuis le jour même du départ de votre mari. Malgré cela, notre message vous est parvenu, n’est-ce pas ?
— Oui.
— Bien.
Le ton était celui d’un businessman traitant une affaire. Il poursuivit :
— Je vais maintenant, madame, vous donner vos instructions.
— Je vous en prie.
— Après-demain, vous quitterez Fez pour Marrakech. C’est, je crois, ce que vous comptiez faire ?
— Exactement.
— Le lendemain de votre arrivée à Marrakech, vous recevrez un télégramme venant d’Angleterre. Ce qu’il contiendra, je l’ignore, mais vous devrez immédiatement prendre vos dispositions pour rentrer à Londres.
— Je dois retourner à Londres ?
— Laissez-moi finir, voulez-vous ? Vous retiendrez votre place dans un avion quittant Casablanca le jour suivant.
— Et si c’est impossible ? Si toutes les places sont déjà retenues ?
— Elles ne le seront pas. Tout est prévu. Vous avez bien compris vos instructions ?
— Oui.
— Alors, il ne vous reste plus qu’à aller retrouver votre guide. Au fait, vous êtes entrée en relations amicales, je crois, avec une Anglaise et une Américaine qui sont descendues au Palais Jamail ?
— C’est exact. Je n’ai guère pu faire autrement. J’ai eu tort ?
— Du tout ! Ça nous arrange, au contraire. Si vous pouvez persuader une de ces dames de vous accompagner à Marrakech, ce sera parfait !
Se levant, il ajouta :
— Je vous salue, madame !
— Au revoir, monsieur.
— Si vous voulez, dit-il avec indifférence. Mais je doute que nous nous rencontrions de nouveau.
Hilary sortit par où elle était entrée. Cette fois, la porte des toilettes s’ouvrit sans difficulté.